Décrypter l’énergie & le climat

Analyses et points de vue d’un pro-enr sur les enjeux énergie-climat au 21e siècle.

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Une trajectoire 100 % EnR permettrait de diviser par deux la consommation de gaz de notre mix électrique

Scénarios RTE : le gaz décarboné ne répond qu’à 2 à 3 % de la consommation électrique totale

Damien SALEL
Décrypter l’énergie & le climat
6 min readJan 23, 2022

C’est quelque chose que l’on entend souvent à propos des énergies renouvelables électriques (EnR), celles-ci ont besoin d’un back-up constitué de centrales à gaz pour faire face aux périodes sans vent ni soleil. Les EnR auraient ainsi ceci de paradoxal : bien que déployées pour lutter contre le réchauffement climatique, elles renforceraient notre dépendance au gaz fossile. Celui-ci provenant en partie de Russie, la crise climatique serait en outre couplée à une crise géopolitique Europe-Russie.

100 % EnR nécessiterait trois fois plus de centrales thermiques à flamme…

A priori, cette analyse du problème semble confirmée par les scénarios 100 % EnR qui nécessitent effectivement d’accroître la quantité de centrales à gaz. Ainsi, dans ceux de RTE, les capacités installées passent d’une dizaine de gigawatts de thermique à flamme à près de 35.

Cette vision en capacité présente toutefois un défaut majeur : elle n’indique pas la consommation en gaz, charbon ou fioul qui lui est réellement associée. En effet, les centrales peuvent être déployées pour répondre à des évènements exceptionnels, sans qu’elles ne soient utilisées le reste de l’année.

Source : https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/BP2050_rapport-complet_chapitre7_securite-approvisionnement.pdf, p284, traitement Damien SALEL.

… mais la consommation totale de gaz du mix électrique serait divisée par deux

Or, c’est justement la configuration dans laquelle se trouve les scénarios 100 % EnR. Les centrales à gaz sont déployées pour répondre à des besoins exceptionnels, et ne fonctionnent donc qu’une très faible partie de l’année. Malgré la croissance des capacités installées, la consommation réelle de gaz est bien en diminution.

Notons par ailleurs qu’il est bien prévu de décarboner ce gaz par de l’hydrogène produit par électrolyse et/ou par du biogaz produit par méthanisation.

Source : https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/BP2050_rapport-complet_chapitre7_securite-approvisionnement.pdf, p294, traitement Damien SALEL.

Un risque d’échec industriel sur la décarbonation du gaz…

On entend souvent que les scénarios 100 % EnR ne sont pas réalistes, car reposant sur une technologie qui n’est déployée à échelle industrielle dans aucun pays. Si cet argument est juste, certaines précisions doivent être apportées.

Les technologies associées à l’hydrogène sont déjà disponibles, des démonstrateurs sont d’ailleurs déployés en France, comme à Fos-sur-Mer avec Jupiter 1000. L’enjeu actuel est davantage celui de leur industrialisation et de la baisse des coûts, que celui de la création de nouvelles technologies.

Par ailleurs, si actuellement aucun pays n’a massivement misé sur l’hydrogène dans son mix électrique, c’est d’abord parce que son déploiement ne se justifie qu’à de très forts taux de pénétration des EnR variables, probablement au-delà de 60 % dans un mix électrique. En effet, l’hydrogène est coûteux du fait du rendement de sa production et de son utilisation, c’est pourquoi d’un point de vu économique, son déploiement n’est intéressant qu’après épuisement des autres moyens de gestions de la variabilité des EnR.

Ainsi, en deçà de 60 % d’EnR variables, l’enjeu repose davantage sur le déploiement de moyens de production bas carbone en substitution des énergies fossiles, que sur la gestion de “l’intermittence”. Or, aujourd’hui, aucun pays n’a atteint de tels niveaux d’EnR variables, même si la technologie était déjà utilisable à échelle industrielle, l’intérêt économique et climatique de son déploiement serait donc très limité. Dit autrement, à coût équivalent, davantage de CO2 serait évité en installant plus d’EnR, que de l’hydrogène.

… mais des émissions du système électrique en diminution y compris en cas d’échec

Pour autant, admettons que nous échouons à décarboner le gaz nécessaire à notre mix électrique (ce que je juge personnellement improbable du fait des investissements considérables dans le domaine). Que se passerait-il ?

D’après RTE, l’utilisation de gaz fossile en substitution provoquerait un surcroît d’émission d’environ 5 MT de CO2. Ce chiffre peut paraître élevé, mais les émissions globales seraient pourtant 2 à 4 fois inférieures à celles de notre mix actuel, pourtant considéré comme bas carbone par un grand nombre de commentateurs, et cela malgré l’accroissement de 35 % de la consommation d’électricité à cet horizon.

Source : https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/BP2050_rapport-complet_chapitre12_analyse-environnementale.pdf, p537, traitement Damien SALEL.

Pourquoi les centrales à gaz tournent-elles si peu dans les scénarios de RTE ?

La problématique des périodes sans vent est réelle, mais souvent exagérée. Effectivement, les énergies renouvelables ne produisent pas constamment, et les périodes sans vent ni soleil surviennent régulièrement pendant les pics de froid, pour lesquels il est difficilement envisageable de couper le chauffage. Il faut donc trouver un moyen de produire de l’électricité, dans des périodes où l’essentiel du mix électrique, constitué d’éolien et de photovoltaïque, sera quasiment à l’arrêt.

Pour y faire face, il est prévu d’utiliser un ensemble de moyens de flexibilités qui mis bout à bout, permettront de produire suffisamment d’électricité. Dans son étude “Futurs énergétiques 2050”, RTE décrit une situation de ce type :

Le scénario M23 vise 100 % EnR à 2060, c’est pourquoi il y a encore une base de production nucléaire d’une dizaine de GW. En 2060, ce socle est remplacé par davantage d’EnR et d’autres flexibilités. Source : https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-12/BP2050_rapport-complet_chapitre7_securite-approvisionnement.pdf, p289.
  • Les installations hydroélectriques tournent à pleine puissance. Comme aujourd’hui, on arrête les installations pendant les périodes où la production des autres filières est abondante, cela pour économiser au maximum les stocks d’eau, et ainsi être en capacité de produire à puissance maximale pendant les périodes de tension.
  • Les batteries produisent en fin de journée, mais ne sont pas suffisantes pour éviter le besoin en centrales à gaz (voir à ce sujet Système 100 % EnR : un besoin en batteries 30 fois inférieur à celui des véhicules électrique et La France devrait-elle s’arroger 1/4 des réserves de lithium pour atteindre un mix 100 % EnR ?).
  • Les centrales à gaz sont activées la nuit, le jour la production solaire peut être suffisante pour quasiment s’en passer, même en hiver.
  • Des imports sont régulièrement possibles pour limiter l’utilisation des centrales à gaz. En effet, s’il n’y a pas de vent en France, il peut y en avoir chez nos voisins. S’il n’y a pas de vent non plus chez nos voisins, on peut faire appel aux centrales à gaz installées en France. Le rôle des imports est de diminuer l’utilisation du gaz lorsque cela est possible*.

*Pour analyser ses scénarios, RTE a simulé le système électrique européen pour 1000 années météos. Dans le modèle, il n’y a pas “d’imports miraculeux”, puisque pour le faire, des surplus de production doivent être disponibles chez nos voisins.

Conclusion : une faible dépendance au gaz dans l’ensemble des scénarios de RTE

Les scénarios avec relance du nucléaire permettent de diminuer davantage la consommation de gaz. Toutefois, celle-ci reste faible dans l’ensemble des scénarios.

Beaucoup de commentateurs craignent un échec de la décarbonation du gaz nécessaire au 100 % EnR, en particulier concernant la production d’hydrogène vert. A titre personnel, je juge cet échec improbable, tant les investissements réalisés sur cette technologie sont considérables dans le monde.

Toutefois, même dans l’éventualité où celui-ci se produirait, l’impact pour le climat serait faible au regard des autres enjeux. Les principaux risques sur l’atteinte de nos objectifs climatiques se concentrent dans la diminution de nos consommations et dans les rythmes de déploiement des moyens de production décarbonés. Or ces enjeux, bien que plus importants pour le climat, n’ont malheureusement pas toujours la même visibilité que peut avoir celui de la gestion de “l’intermittence”.

Les théories sur la dépendance au gaz liée aux EnR sont donc largement exagérées. Les scénarios de RTE, bien que misant sur 90 % d’EnR variables et 10 % d’hydroélectricité ne dépendent ainsi qu’à 2 % sur des flexibilités au gaz.

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